CHAPITRE VI

Jacen Solo était seul dans la cabine de méditation du Ralroost. Située à l’arrière du croiseur bothan, la pièce ouvrait sur les lumières de l’hyperespace à travers une arche de transpacier.

Jacen ayant vu ces lumières toute sa vie, elles n’avaient rien d’exceptionnel à ses yeux.

Pourtant, il avait du mal à se concentrer.

La semaine précédente avait été bien remplie. Mais les briefings, les bagages ou les séances de formation n’étaient pas ce qui le troublait.

— Je me doutais que tu serais là.

Jacen se tourna et sourit à Jaina.

— Tu restes un peu avec moi ?

— Oui.

Elle s’assit à côté de lui.

— Par les os noirs de l’Empereur, Jacen, tu as vraiment besoin de méditer ! Je ne t’ai jamais senti aussi agité !

— Ni aussi incapable de contrôler les émotions que je projette…

Jaina éclata de rire.

Son frère se laissa bercer par ce son familier.

— Nous sommes jumeaux, Jacen. Nous communiquions avant de savoir que les autres existaient. Mais il est exact que tu as des « fuites » assez importantes. Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Je ne suis pas sûr. Je suppose que l’énormité de ce que nous entreprenons vient de me frapper. Nos parents se battaient contre l’Empire, un ennemi puissant. Notre « Empire », ce sont les Yuuzhan Vong, et ils semblent plus redoutables que les Impériaux !

— Jusqu’ici, la Force nous a toujours donné l’avantage. Maintenant, nous devrons faire de notre mieux sans compter sur elle. Par bonheur, j’ai des exemples formidables sous les yeux !

— Le colonel Darklighter ?

— Oui, et tous les Rogues ! Le général Antilles, le colonel Celchu. Aucun d’eux ne maîtrise la Force, mais tous sont des pilotes d’élite. Quand je pense que j’ai du mal à imaginer la vie sans la Force, et qu’eux accomplissent tout ça sans jamais avoir eu son soutien !

— Ne pas avoir la Force, c’est comme être aveugle aux couleurs. Mais ça ne les gêne pas. Voilà ce qui me tracasse, Jaina. Tous ces gens, prêts à mettre leur vie en jeu parce qu’ils ont confiance en leurs chefs, leurs traditions et le sens de ce qui est juste. Une armée entière va défendre des peuples sur des mondes si lointains que leurs soleils sont invisibles depuis leurs planètes natales. Etant des Jedi, c’est notre vocation, mais…

— Ça peut paraître démesuré à une telle échelle, admit Jaina.

— Comment ne pas le faire ? demanda Jacen.

— Pourtant, Jaina, tu fais partie de l’Escadron Rogue, avec toutes ses traditions ! Comment peux-tu l’ignorer ?

— Je n’ai pas le temps d’y penser, Jacen. Je me concentre sur le présent. Le passé et l’avenir ne me concernent pas. Je suis étonnée que tout ça te frappe si soudainement. Ou plutôt maintenant.

— Que veux-tu dire ?

— Tu cherches toujours à gratter la surface, Jacen. Tu te demandes si ce que tu as te convient, s’il n’y a pas autre chose… Tu ne t’interroges pas pour savoir si ton verre est à moitié plein ou à moitié vide, mais pour déterminer si c’est le bon verre… Si son contenu est vraiment ce que tu voulais ! Parce que tu es intelligent et doué, tu as continué à fonctionner en dépit de tes doutes sur l’ordre des choses. Mais tu survoles les problèmes sans vraiment les examiner.

— Ça n’est pas vrai !

— Si ! Sur Belkadan, tu as volé au secours des esclaves sans t’inquiéter de ta sécurité. Pourquoi ? Parce qu’il y avait un sujet plus important enjeu. J’ignore si la Force t’a vraiment donné une vision de l’avenir… Quand les choses se sont gâtées, tu ne t’es pas soucié de tes blessures, tu t’es demandé pourquoi ta vision t’avait trompé !

— Tu as tout compris de travers.

— Jacen, je suis ta sœur ! Je te connais. Même devenu un Jedi, tu cherches toujours plus loin ! Au début, tu t’es comporté comme si « Jedi » était synonyme de « héros ». Ce n’est pas le cas. Ces gens ne sont pas là pour être héroïques, mais pour accomplir leur devoir.

Jacen se leva et approcha de la verrière.

— Je le sais, et je le respecte.

— Et toi, tu ne te poses jamais de questions sur ce qu’on nous a enseigné ? Tu n’as pas envie d’aller au-delà ?

— Au-delà de quoi, Jacen ?

Il sembla ébranlé par la question.

— Euh… Je l’ignore…

— Donc, tu cherches ce qui n’existe peut-être pas. Pour ma part, je prends chaque mission comme elle vient. En ce moment, je suis une pilote qui a des pouvoirs de Jedi. Je veux être la meilleure possible. Quand j’y arriverai, en supposant que j’y parvienne, j’envisagerai la suite.

— Voilà le problème, Jaina. Pour le moment, je n’ai pas de travail. Voilà pourquoi je cherche plus loin.

Elle lui flanqua une tape amicale sur la joue.

— Non, Jacen. Tu as un travail ! Tu es un Jedi et tu partiras bientôt en mission.

— Je sais. J’y suis préparé. Ayant suivi la formation, et étudié Garqi, je suis paré.

— C’est comme quand tu étais plus jeune, Jacen… Tu es prêt pour le travail, mais tu ne l’as pas encore commencé. Alors, tu penses aux prochains enjeux et tu laisses des détails te perturber. Mais les Yuuzhan Vong ne sont pas de la petite bière, ils sont affreusement sérieux, et si tu essaies de ne pas tenir compte de leur existence, ça te retombera dessus.

Jacen se tourna vers sa sœur. Elle avait raison.

Ça veut dire que j’ai encore des points à éclaircir…

— Tu penses que mon expérience sur Garqi m’aidera à me perfectionner ?

— Elle t’aidera à devenir toi-même. Tu partiras en mission avec deux Jedi très différents, Corran et Ganner. Tu peux apprendre beaucoup à leur contact. Ralentis un peu. Assimile. Laisse-toi une chance de progresser.

— Ça me donne un point de départ…, soupira Jacen. Et maintenant, tu vas me rappeler que les filles mûrissent plus vite que les garçons.

— Les femmes mûrissent plus vite que les garçons, Jacen !

Se forçant à ne pas éclater de rire, elle attira son frère dans ses bras.

— Nous ne sommes plus des gosses. Nous devrons nous dépasser si nous voulons survivre.

— Je sais. Tu as raison. (Il la serra comme si c’était la dernière fois.) Fais attention, Jaina. Pilote de ton mieux. Ne les laisse pas t’avoir !

— Souviens-toi qu’il y a des créatures dangereuses dans le paradis botanique pourpre de Garqi. Prends soin de toi, Jacen. Et que la Force soit avec toi.

— Merci, Jaina. Elle le sera. (Il lui passa un bras autour des épaules.) Viens, allons prendre une tasse de café avant que nos missions commencent. Il faudra que nous soyons rudement bons, pour avoir le plaisir d’être frère et sœur plus longtemps !

Assise devant sa tasse de café, Jaina se raidit. Jacen tourna la tête pour suivre son regard. Son sourire mourut.

— Avez-vous besoin de moi ? Mon comlink est branché, n’est-ce pas ?

Corran Horn sourit.

— Ne vous inquiétez pas, Jacen. Je suis content de vous voir, lieutenant Solo.

— Merci, colonel, dit Jaina, tirant un siège à côté d’elle. Si vous voulez vous joindre à nous…

— Non, je venais seulement pour une tasse de café. C’est sans doute le dernier que nous boirons jusqu’à notre retour de Garqi. Le leur est infect. Du moins, c’était le cas il y a vingt ans.

— Si celui-là est censé être bon par rapport au breuvage de Garqi…

Corran lui tapota l’épaule.

— Trop tard pour essayer de couper à la mission, Jacen ! (Il se tourna vers Jaina.) J’ai cru comprendre que vous vous êtes bien adaptée à l’Escadron Rogue.

— Oui, monsieur. J’apprécie beaucoup d’en faire partie.

— Ce sont des responsabilités différentes de celles d’un Jedi, mais tout aussi importantes. A notre retour de Garqi, le colonel Darklighter veut que je vous soumette à une simulation pour voir ce que vous valez.

Jaina rougit.

— Je vous décevrai, colonel. Le général Antilles et le colonel Celchu me désintègrent à chaque exercice.

— Ils me descendent aussi en flammes ! Nous devrions peut-être nous allier contre eux et montrer un ou deux tours tordus à ces vieux loups !

— J’en serai ravie, monsieur.

Jacen regarda Corran.

— Préférez-vous être de nouveau dans l’armée, plutôt qu’un Jedi ?

— J’étais content de constater que mon uniforme n’était pas devenu trop petit ! J’ai aussi rasé ma barbe, mais je ne suis pas moins un Jedi que vous ou que Jaina. C’est une astuce pratique pour mener ma mission à bien. Je préférerais qu’il en aille autrement, mais si je dois me prêter à ces petits jeux pour sauver des vies, je le ferai.

Corran posa sa tasse vide sur la table.

— Ceci dit, la mission sur Garqi ne sera pas de la rigolade.

— J’en ai conscience. J’ai étudié l’environnement, les ressources naturelles, le réseau de communication, les routes de liaison, et la répartition de l’énergie. J’ai aussi travaillé sur des simulations de notre équipement de base. Je pourrais démonter notre scanner les yeux fermés.

— Parfait. Je n’en attendais pas moins de vous. Il y a une chose vitale, que votre sœur apprend avec l’Escadron Rogue : suivre les ordres. Je sais que l’action indépendante que vous avez menée tous les deux sur Helska Quatre a permis de sauver Danni Quee. Je sais aussi que votre tentative d’aider des esclaves, sur Belkadan, ne s’est pas terminée aussi bien. Pour cette mission, vous ferez partie d’une équipe. Nous dépendrons les uns des autres. Pas question de faire cavalier seul sous prétexte que vous croyez savoir ce qui arrivera ! Je ne dirai jamais non à quelque chose pour le simple plaisir de vous frustrer. Si c’est raisonnable, j’étudierai la question. Compris ?

Jacen réfléchit, non sans remarquer le ton très paternel que Corran adoptait avec lui.

— Oui, monsieur.

— Bien. Autre chose : si je vous ai choisi pour cette mission, c’est à cause de votre expérience avec les Vong et de votre courage. Ma propre expérience avec eux n’a pas été des plus agréables. Si j’avais le choix, je ne m’en approcherais plus. Votre détermination à retourner les affronter est admirable.

Jacen regarda sa tasse.

— Merci.

— Si nous menons notre mission à bien, nous arriverons et repartirons sans que les Vong s’en aperçoivent. Espérons-le, l’héroïsme forcené pour lequel votre famille est réputée ne sera pas de mise. Mais nous aurons besoin de votre fameux mépris corellien de la malchance et de vos ressources au combat ! Ça me suffit à garder confiance en nos chances de survie !

Jaina leva un sourcil.

— Et Ganner ?

— Il est de Teyr. Son peuple ne croit ni à la chance ni à la malchance. Mais c’est un bon combattant, intelligent quand il veut bien réfléchir avant d’agir. De plus, c’est un beau garçon, comme vous l’avez probablement remarqué.

Jaina rougit.

— Difficile de faire autrement.

— D’autant plus qu’il se pavane tout le temps, ajouta Corran avec un clin d’œil à Jacen. Peut-être pourrons-nous l’en déshabituer…

— Nous essaierons.

— Sur ce, conclut Corran, je vous quitte. Passez un peu de temps avec votre sœur, puis vérifiez encore votre équipement. Il nous reste un jour ou deux avant le départ, mais mieux vaut être prêts.

— Entendu, Corran.

— J’ai été contente de vous voir, colonel, dit Jaina.

— Moi aussi, lieutenant. Continuez à défendre la réputation de l’Escadron Rogue !

— Oui, monsieur.

Jacen attendit que Corran fût parti puis jeta un coup d’œil interrogateur à sa sœur.

— Tu t’es comportée de manière très… formelle, Jaina.

— Dans l’armée, la familiarité est possible avec les subordonnés, pas avec les supérieurs. Question de hiérarchie... Nous jouons suivant des règles différentes, maintenant.

— Les mêmes buts, mais des chemins divergents, soupira Jacen. Ce qui pourrait me faire penser à ce qui arrivera après la mission en cours. Mais je m’abstiendrai. Commençons par le commencement. Ensuite, nous nous occuperons de l’avenir.